pratiques de création

Que signifie pratiques de création ? Peut-on réellement les définir, si on n’a pas senti la déstabilisation qu’elles génèrent ? Notre pari est d’en proposer le partage. Chacun, à sa manière, parle, analyse, théorise et essaye d’apporter des éléments de compréhension de ce qui peut se jouer dans ce que nous appelons une pratique de création.

Michel Ducom (lire « l’Edito de la revue soleils et cendre » , 2005)
Pour créer, il est nécessaire de « retirer la garde qui veille aux portes de la raison » (selon Schiller, dans une lettre en réponse au critique Körner qui se plaignait de ne pouvoir créer). C’est un travail difficile auquel nous sommes cependant tous habitués puisqu’il en est de même si nous voulons savoir, comprendre quelque chose de neuf. Bien entendu, ce point n’est pas suffisant, mais il est indispensable pour oser commencer à construire un savoir ou pour oser créer. Confrontés à nos censures nous naviguons entre elles sur des chemins convenus. Essayons de les surprendre, de les lever, et les chemins du savoir et de la création prennent l’allure d’une aventure dont le devenir n’est pas assuré mais où le présent devient passionnant.

Dominique Grandière  (lire l’article « Evaluer l’écriture ? Quel gag ! Disons… l’évoluer » )
Les choix qui se font au cour de l’atelier dans le découpage de son propre texte ou dans le pillage des textes des autres sont des actes de lecture véritable, car il n’y a aucune place pour la neutralité, pour le jugement de valeur au nom de critères extérieurs. La validité du fragment choisi tient toute entière dans le pouvoir qu’il a d’engendrer de nouveaux textes. On peut observer ce processus en reprenant ses propres  »brouillons » d’atelier, on s’apercevra que c’est le cheminement même de l’écriture qui évalue ses choix.[…] En tout cas, chaque texte, porté à la nécessité de continuer à écrire, va peu à peu dans ce processus devenir dense, se mettre à résister à la lecture de ses références pour exiger de son lecteur qu’il s’y engage.
Il aura du coup pour résultat de surprendre celui-même qui l’a écrit, de lui faire percevoir qu’il a produit de l’inconnu, du non-existant. Ca s’appelle, je crois, créer.  (in « l’atelier d’écriture, le pouvoir d’écrire », 1993) 

Pierre Colin (Lire l’article « L’ode à la joie » )
« Il faut, dit Bachelard, autant d’énergie à l’homme pour inventer une image nouvelle qu’à la plante pour inventer un nouveau caractère génétique« . Mais ce corps à corps avec la matière rebelle, qu’elle soit langue, ou couleur, forme ou son, obéit à ses lois. Toute pratique de création cherche un chemin vers le réel, qu’elle découpe, qu’elle découvre, « donne à voir », par d’autres voies que celles de la raison. […]
C’est de cela qu’il s’agit : explorer un état de saisissement en deçà des mots et du rêve, pour être en proie à l’Art Brut, le Temps de voir surgir la métaphore, d’en arrêter la folle alchimie mentale, avant qu’elle ne meure dans le poème « comme une aurore aux doigts de roses » (Homère). […]
Puis, reprendre pied, avec la vague apaisée. Reprendre langue avec son corps. Reprendre voix avec le monde. Refaire un pacte avec le sens : créer.
C’est a dire emprunter les entiers qui nous lient au-delà du Temps et de l’espace à tous les hommes en quette de savoir et de rêve. Réinventer les voies de l’hominisation.  (in « l’atelier d’écriture, le pouvoir d’écrire », 1993)

Pierre Colin (Lire l’article « Un savoir en dérangement » )
Oui, la crise existe et nous l’avons tous rencontrée. Je parle de cette part de soi, « bien arrêtée avec des certitudes », que soudain des « météorites mentaux », surgis des grands trous noirs, des grands hasards, de la conscience – viennent ébranler de toute part. […]
Ce qui provoque la crise, c’est l’impérieuse nécessité de s’adapter à la réalité (une autre vérité), qui est toujours peu ou prou, la réalité de l’Autre, ou du groupe. […]
Crise du sens alors, que cette fixation du savoir « en rupture », qui, par une lucidité effervescente déstabilise de proche en proche tout le savoir de l’apprenant. […]
Crise du « savoir sur soi » – c’est à dire par rapport à l’autre, et crise de la connaissance – c’est à dire sur son rapport au réel, quand le savoir acquis se révèle impuissant à prendre en charge la complexité des choses. Car le savoir en rupture ouvre en nous la question « de cet abîme ouvert à la pensé qu’une pensée se fasse entendre dans l’abîme » (Lacan).  (in « l’atelier d’écriture, le pouvoir d’écrire », 1993)

Stéphanie Fouquet (lire l’article « De la transformation de Laplace à la quête de l’imaginaire » )
Le plaisir de la déconstruction, du pas à pas dans les associations d’idées, de sonorités. La plaisir de de l’erreur traquée, comme révélatrice d’une manifestation du réel. L’engagement, l’implication dans les choix à faire, l’écoute du hasard, la place de l’autre. Le plaisir prend la force de désir, les découvertes, les rencontres de mots, la formation d’images, les impossibles prennent corps. La langue se met en travail, et quelque chose se joue de l’ordre de la transformation. Il y a dans ce chaos de mots quelque chose qui se joue malgré moi. Les mots ont leurs aimants, leur spin, au-delà du sens pour le moment. Un monde se déchaîne d’idées, d’envies, de désirs, d’images flottantes, de possibles compactés en trois mots, de phrases sans complément.
Mais qu’est ce que Didier Anzieu peut nous dire de ce qui se passe. Après cet état de saisissement, de crise, la partie de moi restée consciente rapporte de cet état un matériaux inconscient. […]L’activité préconsciente reprend alors son activité de liaison.
Si je continue mon analogie, j’ai appliqué les transformées de Laplace sur ma réalité, je m’expulse dans le monde infini de l’intégrale et commence à broder des possibles grâce à la transformation irrationnelle de la langue. Je lie, relie, délie en appliquant des formules impossibles dans la réalité, dans le symbolique. Je fais naître sans le savoir des métaphores, métonymies, et autres déformations de la langue en la sortant de sa linéarité. J’épaissis les possibles de mes propos par des applications inadmissibles dans l’autre monde, dans le monde symbolique.  […]
Je complexifie pour simplifier, mettre mes tensions à distance. Parce que je sais qu’il existe une transformée inverse, qui permet de revenir dans le système référentiel initial.
On change d’espace pour faire bouger un impossible, un indicible. Puis on revient, avec la banane, et l’indicible exprimé en une langue accessible, une vérité du moment.

Didier Anzieu, le corps de l’oeuvre (Lire l’article en entier)
Le travail de la création parcourt cinq phases: éprouver un état de saisissement; prendre conscience d’un représentant psychique inconscient; l’ériger en code organisateur de l’oeuvre; choisir un matériau apte à doter ce corps d’un corps; composer l’oeuvre dans ses détails; la produire au dehors. Chacune comporte sa dynamique, son économie, sa résistance spécifique.

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