Faire de l’écriture un bien partagé
Odette et Michel Neumayer
Il en va de l’atelier d’écriture comme de toute autre œuvre, qu’elle soit écrite, peinte, composée. On peut l’admirer ou la rejeter, la juger ou la commenter, mais on ne la comprend véritablement qu’à partir des incursions que l’on fait dans ce qui en constitue la partie invisible, à savoir le travail de création, doublé du travail d’invention et animation.
Or l’atelier est à la fois une œuvre et une rencontre. Cette rencontre est une aventure de la pensée. (…)
Pendant de nombreuses années, nous avons contribué avec bien d’autres, dans l’Éducation Nouvelle et ailleurs, au développement des ateliers d’écriture. Nous avons multiplié les inventions, les animations et développé, au fil des stages, ce qui est finalement devenu un laboratoire de recherche et d’expérimentation doublé d’un ensemble constitué de pratiques ou d’outils. Au nom de l’urgence et d’un certain pragmatisme, nous nous sommes longtemps contentés de publier le déroulement de ce que nous inventions, le bout à bout des consignes. (…)
Voici pourquoi, tentant de mettre en patrimoine et de reconnaître notre travail, nous avons cherché à dire comment un jour émerge dans la tête d’une personne « quelque chose nommé projet d’atelier ». Dire en quoi consiste cette projection, essentiellement invisible, par laquelle l’intuition initiale se métamorphose en pistes et en consignes. Dire comment s’opère le passage vers les autres et l’animation et comment se nouent entre participants et animateurs le dialogue d’activité à activité qui rend l’atelier possible…
La pertinence d’un atelier d’écriture, sa qualité, se mesurent au bout du compte à sa capacité à rencontrer une demande sociale. Non à y répondre (comme si l’on voulait apaiser telle ou telle question !) mais à permettre une mise en travail des sujets, « le public », souvent réunis dans des collectifs pour lesquels l’atelier d’écriture n’est qu’un moment. Collectifs de bénévoles associatifs qui agissent contre l’illettrisme et l’analphabétisme dans les centres sociaux et les Maisons de Quartier ; groupes d’instituteurs et de professeurs qui pensent qu’enseigner et éduquer c’est prendre appui les idées de paix et de coopération (…) ; équipes de formateurs qui inventent des situations pédagogiques émancipatrices dans lesquelles l’écriture tient une place centrale ; cadres du service public qui décident que le défi de l’écriture-lecture est un axe majeur du développement de la citoyenneté dans la ville et dans le travail (..)
Les uns et les autres deviennent tôt ou tard porteurs de l’idée qu’une entrée différente dans le monde de l’écrit est possible, que l’écriture peut être, non seulement apprivoisée, mais partagée de mille et une manières. Ce faisant ils inventent, ils créent, ils démultiplient le besoin de créer, donnant de la création une image renouvelée.
« Personne n’éduque autrui. Personne ne s’éduque seul. Les hommes s’éduquent ensemble au contact du monde », dit Paolo Freire. Et si la langue et l’imaginaire étaient le matériau, et si l’écriture était une des expériences majeures grâce à quoi cet « apprendre ensemble au contact du monde » nous rend humains et ouvre l’avenir ?
Une présentation détaillée de l’ouvrage est mise en ligne sur www.ecriture-partagee.com
Editions ESF, 220 pages, 22 € 70 – Paris février 2003 –